Les Delage, précurseurs par tradition (chapitre 1/2)

06/07/2014
Depuis six décennies, l’élevage Delage produit des performers au meilleur niveau en plat comme en obstacle à partir de souches Anglo-Arabes. Cet élevage traditionnel de Pompadour fut l’un des précurseurs du 12,5%, de Mister Banjo à Sarako en passant par la matrone Miss Academy. Focus sur un grand destin des courses. Par Adrien CUGNASSE.

Jean Delage, le patriarche.

MISTER BANJO (Finale Junior Hurdle Gr.1), GRABELS (Prix du Bourbonnais, placé de Listed), SARAKO (grand cross de craon, deux fois champion de France de Cross), MISTER BOUM (Challenge de Haies des 4 Ans Listed), LE CORREZIEN (champion Anglo-Arabe en plat), MISS ACADEMY (meilleure AQPS de sa génération), MISTER NO (un des meilleurs AQPS de sa génération), NEFERTAR (championne Anglo-Arabe en Cross Country), GRAIN DE SABLE (champion Anglo-Arabe en Cross Country) sont ses meilleurs ambassadeurs.

Au sortir de la guerre, il ne restait que très peu de chevaux de sang dans la région de Pompadour. Outre quelques particuliers, c’est à la jumenterie nationale, au Haras National et à l’écurie Parveau que l’on doit la pérennité de l’activité hippique autour de la cité Corrézienne. Dans ce contexte un nouveau venu fit une entrée fracassante au tout début des années 60 : l’élevage Delage.

 

 


UN TERROIR EXCEPTIONNEL
 

En sortant de Pompadour le visiteur chemine vers Lubersac par une route qui serpente et chahute les véhicules. De solides vaches rouges y côtoient des vergers et parfois des chevaux de sang. Cette zone du centre de la France est une véritable terre d’élevage qui donne de la trempe pour résister à ses rigoureux hivers.

 
En poursuivant sa route le voyageur bifurque rapidement dans la direction du lieu dit « Pampelune ». Les routes se rétrécissent au gré des herbages de plus en plus riches. Au sortir d’une zone boisée un corps de ferme traditionnel se détache au milieu de grand champs légèrement vallonnés. Le vert intense et la douceur du paysage dessinent un ensemble délicat bordé de grands arbres. Calme et étendu, l’endroit à de quoi faire rêver tout éleveur. C’est ici qu’est né l’élevage Delage il y a plus d’un demi-siècle.
 
Jean Delage et son épouse vous reçoivent dans leur impeccable salon à l’ambiance « vintage ». En préalable il aura fallu traverser un vestibule où sont affichés pêlemêle des dizaines de photos de gagnants. On se sent un peu comme les soldats de l’empire au moment où Bonaparte les assommât d’un péremptoire « Songez que du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent »… Six décennies de gagnants, de succès qui n’ont en rien entamé la modestie de notre éleveur.
 
Dès le début de l’entretien Jean Delage se dédouane de ses succès : « Vous savez j’ai eu de la chance. Mon frère m’a beaucoup aidé et j’ai eu de bons gagnants dès le début qui ont lancé l’élevage alors que nous n’avions pas beaucoup de poulinières ». Mais la chance qui se répète se suffit-elle à elle-même pour expliquer un tel palmarès… ?
 
 
Jean Delage, entouré de gauche à droite par Roger Gouaille et Pierre Delage, son frère à qui il reconnaît devoir beaucoup.
 
 
LE CHEVAL : UN ASCENSEUR SOCIAL
 
Derrière cette modestie non feinte propre aux gens de la terre il y a l’intelligence et la réserve de ceux qui ont connu une vie de labeur. Si l’on y prête une oreille attentive et que l’on veut bien lire entre les phrases ce qu’il n’aura pas forcément osé énoncer frontalement, alors on mesure toute la difficulté que représente l’acte d’élever. Avec ses hauts et ses bas, ses moments euphoriques et ses coups durs, ses hivers longs et ses nuits difficiles.
 
Mais les chevaux furent aussi un formidable ascenseur social pour de jeunes ruraux après la guerre. Par quel autre biais qu’une passion commune pour les chevaux de sang, un agriculteur de Corrèze aurait-il pu voir défiler à sa table certains des plus grands propriétaires Français et Etrangers ?
 
 

L'ACHAT DES PREMIERES JUMENTS

 
Jean Delage se souvient : « Mes parents avaient une propriété à Saint Bonnet la Rivière où ils faisaient des bovins. J’ai deux frères plus âgés que moi, l’un d’eux fut ingénieur en Indochine et l’autre vétérinaire. J’avais été trépané dans mon enfance et du coup j’ai fais peu d’études. Je suis resté à la ferme ». Il poursuit : « Mon frère était vétérinaire à la remonte à Tarbes. Il était beaucoup plus âgé que moi et on peut dire qu’il m’a quasiment élevé. Avec lui je partais visiter les élevages du Sud Ouest. J’ai ainsi connu les meilleurs de l’époque : Davezac, Lestorte, Buzy Cazeaux, Laborde... ».
 
Concernant son frère il précise : « Il montait en course et c’est lui qui m’a fait découvrir ce milieu. Quand il faisait l’école vétérinaire à Fontainebleau il préférait déjà les courses aux sports équestres. C’est là qu’il s’est fait son réseau, il y a rencontré des propriétaires et entraîneurs de la région parisienne mais aussi du Sud Est. Ca m’a bien aidé pour placer mes chevaux, surtout qu’il s’occupait aussi des papiers ».
 
Jean Delage nous expliquait récemment : « En 1948, accompagné de mon frère, j’ai acheté deux juments Pur Sang chez Jean Bernet à Lescar près de Pau. Je n’avais jamais eu un cheval avant. Lorsqu’en 1960 ma femme et moi-même nous sommes installés à Lubersac, les deux juments ont suivi. Par l’intermédiaire de George Peuch, un jockey originaire de Pompadour, j’ai commencé à prendre en pension des juments de propriétaires Marseillais. Jusqu’à ma retraite dans les années 80 je n’avais que 3 ou 4 poulinières à moi et une centaine de mères Limousines ».
 
Les deux juments achetées près de Pau étaient LA PROVINCIALE (1936 par Laeken et Procumbens par Bay Cherry) et GRIGORA (1938 par Buland Bala et La Sabine par Dauphin).
 
  • LA PROVINCIALE : pour la libération !
    Une Rothschild arrivée pendant la débâcle de 1940 dans le Sud Ouest, fut saillie à Pau par LAVAREDE avant de remonter en Limousin. Le produit, LANDIS II, a gagné à Saint Cloud en plat (dont le Handicap de Printemps, Listed) et en haie à Enghien. Suivront PROMISCUITE (invaincue en 8 sorties à 2 ans à Marseille, Grand Prix de Marseille et Grand Prix d’Avignon), PROCURATRICE (bonne gagnante régionale)…Il y a parfois un peu d’insoumission chez les éleveurs d’Anglo, c’est ainsi que PROVOCATRICE (autre produit de LA PROVINCIALE) s’imposera à Pompadour pour la première course après la libération. Tout un symbole !
     
  • GRIGORA: la jument dont personne ne voulait :
    Fidèle à son origine prestigieuse, LA PROVINCIALE s’est distinguée au haras dans la race pure comme nous l’évoquions à l’instant. Mais c’est GRIGORA (1938 par Buland Bala et La Sabine par Dauphin) qui a véritablement fait souche à l’élevage. Une jument dont personne ne voulait. Jean Delage se souvient : « Elle n’était pas d’un modèle extraordinaire. Monsieur Bernet n’y croyait pas, il me l’a quasiment donné. J’ai du la payer le prix du couteau ».
     

ACQUISE POUR LE PRIX DE BOUCHERIE, GRIGORA DONNE UNE JUMENT DE BASE

De petite taille, son père BULAND BALA était un ton en dessous des meilleurs mais il fut tout de même second du Grand Prix de Paris d’HOTWEED pour l’Aga Khan. Son père de mère DAUPHIN (Prix du Conseil de Paris 1923) a laissé plusieurs bonnes souches dans le Sud Ouest. Pour l’anecdote on notera qu’une de ses filles MIREILLE (Dauphin et Mascotte par Hag to Hag) est l’aïeule de la toute bonne VANILLE DE COTTE. La souche développée par Georges Richardot en Saône-et-Loire est en fait originaire du Sud Ouest dont elle porte les meilleurs courants de sang d’après guerre (Meridien, Pinceau…) !
 
 
Buland Bala, étalon à Tarbes
 
 
GRICO, le premier produit de GRIGORA fut un bon 2 ans chez Joseph Biancone. LA SAMBA suivra et sera une bonne gagnante à Toulouse; Avec l’Arabe Tunisien SUMEYR, GRIGORA donnera SUGANA (50%) qui fut rapidement mise à la reproduction. Elle est l’un des juments marquantes du Stud-Book Anglo-Arabe.
 
  • Son premier produit CONSTANTIN (25% par Le Tigre II et Sugana ) avait remporté ses séries (*) avant de s’imposer dans le Grand National. En obstacle il ira battre les Purs, son fait d’arme étant sa victoire dans le Palaminy à Pau !
     
  • MISS PRINTEMPS II (25% 1966 par Wild Hun) gagnera ses séries(*) puis fut rapidement mise à l’élevage.
     
  • PETITE FEE (25% 1968 par Greyhound) fut la meilleure trois ans de sa génération avec 7 victoires. Elle s’était imposée dans ses 3 séries(*) puis dans le Grand National. N’ayant plus rien à courrir chez les Anglos elle fut engagée dans le Jacques de Vienne, qu’elle remporta avec la manière. Passée à l’obstacle PETITE FEE s’est imposée en haie à Pau face aux Purs. Sa descendance sera développée dans une partie spécifique.
     
  • Deux ans plus tard, POURQUOI PAS V (25% 1970 par Wild Hun) voyait le jour. Sous l’entrainement Goaille ce dernier avait remporté ses séries(*) avant de battre les Purs en plat à Pau dans la Poule d’Essai. Il fut exporté au Japon la même année que Toskaï.
     
  • Son propre frère LE CORREZIEN fut une véritable vedette en Anglo-Arabie, meilleur trois ans de l’année 1974 avec sept victoires dont l’Omnium (de 6 longueurs), le Prix Velox (de 6 longueurs), le Grand National et le Grand Prix des Anglo-Arabes. N’ayant plus rien à courir, Roger Goaille décida d’aller contre les AQPS. Il sera second du Critérium du Centre et quatrième d’un Jacques de Vienne malheureux où il se battra nez au vent tout au long d’un mauvais parcours Avec 73 kgs il portait le top weight de l’épreuve, rendant 7 kgs au vainqueur. Il s’était par ailleurs imposé face aux Purs en plat. Entré au haras de Gélos, LE CORREZIEN sera la grande vedette des années 70 de par ses performances et sa famille hors normes. Il saillira la crème des juments de course du Sud Ouest.

 

Le Corrézien

  • Trois ans plus tard SUGANA donnera naissance à son premier 50% avec le chef de race THALIAN. Ainsi naquit LE DRAKKAR II qui fut victorieux en plat pour ses débuts chez Roger Goaille. Gravement accidenté il retourna au repos chez son naisseur avec un pronostic réservé quand à son retour en piste. Deux ans plus tard il reprenait la compétition avec succès en enchainant de nombreuses victoires en Cross Country face aux Purs. Il finira sa carrière sur trois victoires à Auteuil.

 

Le Drakkar II

 

Trois filles ont perpétué le sang de l’exceptionnelle SUGANA : MISS PRINTEMPS II, PETITE FEE et GREYGANA. Bonne gagnante à trois ans, MISS PRINTEMPS II (25% par Wild Hun et Sugana), confirmera au haras la qualité que pouvait laisser espérer son origine. Son premier produit ALLEZ POMPADOUR (25% par Dollons) s’était imposé dans ses séries(*) puis dans le Grand National et en Steeple Chase à Pompadour.
 
PROSERPINE (25% 1978 par Le Gregol et Miss Printemps II) fut débutée en obstacle à trois ans. Au terme de sa carrière elle cumulait treize places et trois victoires dont deux à Auteuil. Sa propre sœur LA BAVARDE (25% 1982) fut placée à Auteuil. Elle est la grand-mère de BEST SELLER (37,5% par Carghese des Landes) qui effectue une bonne saison 2014 pour le compte de Thomas Fourcy qui est à la fois son propriétaire, son entraineur et son jockey !
 
Avec BLACK BEAUTY II, MISS PRINTEMPS II donnera LE PRINTEMPS. Bon gagnant en plat il sera par la suite lauréat en steeple chase à Nantes et placé à Auteuil.
 
 
 
 

PETITE FEE, ARRIERE GRAND-MERE DE GRABELS

Celle qui fut sans doute la meilleure femelle de sa famille en épreuves publiques réintégra son élevage d’origine au terme de sa carrière. Ses descendants les plus marquants seront OD'VIENNE (25% par Roseau d’Or, deuxième du Prix d’Essai et troisième de la Coupe à Pompadour), HAZAROLA (25% par Le Correzien, Coupe des Anglo-Arabes à Pompadour) et GRABELS (par Graveron). Ce 12,5% s’était notamment imposé dans le Prix du Bourbonnais. Il fut second du Critérium du Centre et du Jacques de Vienne (battu d’une encolure par LILLIUM DE COTTE). Pour le compte de Magalen Bryant et sous l’entrainement De Balanda il sera second du Prix Durtain (Listed) et troisième du Prix Miror (Listed).

Pour l’anecdote on noter qu’OD’VIENNE a été élevée par Jean Luc Gaillard et François Monmarson, ce dernier ayant toujours été l’un des plus ardents promoteurs de la souche « Delage » dans son activité journalistique.
 
 
Hazarolla triomphant sur l'hippodrome de Pompadour, le haut lieu de compétition pour l'anglo-arabe
 
 
UNE SOUCHE ANGLO CHEZ MARTIN PIPE
 
Non placée lors de ses quatre sorties en plat, GREYGANA (25% 1972 Greyhound et Sugana) n’aura que trois produits. Le meilleur d’entre eux fut PETIT DRAKKAR (25% par Le Gregol) qui comptait notamment une victoire à Auteuil. Sa propre sœur GOLDA (3 victoires 5 places) n’aura elle aussi que 3 produits dont la toute bonne MADEMOISELLE WO (12,5% par Prince Wo) qui s’était imposée dans le Prix De l'Yonne pour sa première sortie à Auteuil.
 
Au haras la descendance de MADEMOISELLE WO s’est montrée particulièrement efficace (5 gagnants sur 6 produits). LA POMMERAIE (Apple Tree et Mademoiselle Wo) cumulera 16 victoires et 23 places pour 103.000 euros en plat et en obstacle. MISS PALMA (Great Palm et Mademoiselle Wo) s’imposera deux fois en cinq sorties y compris devant HAUTCLAN dans le Prix Maurice de Lageneste. MISS ACADEMY (Video Rock et Mademoiselle Wo) fut la meilleure trois ans AQPS de l’année 2004. En six sorties cinq victoires et une place elle s’était notamment adjugée le Critérium du Centre, le Prix du Bourbonnais et le Jacques de Vienne. Mise à l’obstacle outre manche elle fut quatrième du john smith's anniversary 4-y-o novices' hurdle Gr 1. Enfin MISTER NO (Graveron et Mademoiselle Wo) cumulera pas moins de 15 victoires (et 14 places) dont le Prix de l’élevage du Centre, la Grande Course de Haie de Lyon… Il fut également troisième du Prix Durtain (Listed) et quatrième du Grand Steeple Chase de Lyon (Listed).
 
 
Mister No, un grand classique
 
 
MADEMOISELLE WO, LA BIENFAITRICE
 
Les filles de MADEMOISELLE WO confirment elles aussi par leur production la qualité de cette souche. MISS PALMA (Great Palm et Mademoiselle Wo) est ainsi la mère de MISS SARENNE (seconde du Prix Finot Listed), SISTER PALMA (Jacques de Vienne, Critérium du Centre, deux victoires à Auteuil…) et ARRIVA PALMA (deuxième du Critérium du Centre). MISS ACADEMY (Video Rock et Mademoiselle Wo) est quand à elle à l’origine de SIZING France qui fut le Top Price de l’édition 2010 de la Vente de Saint Cloud pour Jehan Bertran de Balanda (160.000 euros à deux ans). Ce dernier, élevé par Martin Pipe « himself », s’est par la suite imposé dans le Prix de l’Yonne devant UNMIX. Avant de disparaître au champ d’honneur il avait gagné plus de 120.000 euros en cinq victoires et sept places.
 
La grande réussite de la descendance de GRIGORA illustre bien le potentiel des souches Anglo-Arabes. Martin Pipe et Jehan Bertran de Balanda ne se sont pas trompés en investissant sur la génétique Anglo-Arabe. Le succès de cette toute bonne famille ne saurait cependant pas occulter les autres souches ayant connu le succès au sein de l’élevage de la famille Delage.
 
(*) Définition course de séries : course de plat à conditions mises en place entre deux guerres pour les Anglo-Arabes. Après trois victoires de “séries” un même cheval ne pouvait plus prendre part à ce type de courses. Il se dirigeait alors vers les courses de sélection de fin de saison ou allait affronter les Purs et AQPS.

 



Commentaires

Les prix de series s'appelaient en réalité Prix du gouvernement épreuves reservées aux 3 ans qui se couraient en trois blocs,de 4 ou5 courses. Un cheval ne pouvait gagner qu,une seule course par serie. Bravo pour ce bel article.
Bellot Christian - 07-07-2014 09:54
Parle ton de Graveron dans le N°2 ? Parce que sur très peu de naissances il a laissé les tous bons : Mileto, Mister no, Grabels Ilbarritz, Sarako, Grain de Sable...qui ont marqué l'élevage Delage pour ne citer qu'eux.
Marie - 07-07-2014 12:39
Merci Mr Bellot pour ces précisions!
Adrien Cugnasse - 07-07-2014 14:48
Marie > oui on parle de Graveron (mais pas que de lui) dans le chapitre 2/2!
Adrien Cugnasse - 07-07-2014 14:49